• Chapitre 10

    Chapitre 10

    CHAPITRE 10

    Because I loved my mother

     

    Balsa ouvrit les yeux dans son lit et observa sa petite sœur, toujours couchée sur le ventre, la tête tournée à l’opposée d’elle. Elle sourit, tristement ce matin-là, et se redressa. Elle fila ensuite à la salle de bain et se nettoya le visage avant d’aller à la cuisine et de se faire un café vanille française. Elle ouvrit la télévision et écouta, encore fatiguée, les nouvelles. Elle texta un peu à son ami Tanda et à Motoko, puis alla s’habiller tout en essayant de ne pas réveiller sa petite sœur. Mais elle se réveilla quand même et observa sa Oneesama, de mauvaise humeur.

     

    « Tu t’es levée du pied gauche ? la taquina Balsa alors qu’elle se déshabillait sans aucune pudeur.

    - Non, j’ai juste pas envie de retourner chez Papa ce soir.

    - C’est rien que pour une nuit. Une nuit, une fois par mois.

    - Je ne comprends pas, je suis bien avec toi, il s’occupe à peine de moi et il veut toujours que j’aille le voir. Oneesama, j’ai dix-huit ans franchement !

    - Je sais, moi aussi j’aimerai te garder auprès de moi tout le temps, mais il reste que c’est quand même notre père... irresponsable, certes, mais il le sera toujours. Aller, juste une seule nuit et tu me retrouveras demain au Cégep.

    - Et si ça se passait mal entre Saki et moi ?! paniqua-t-elle soudain.

    - Fais-moi en part. Mais quoiqu’elle dise, n’utilise pas la force physique. Ne fait pas comme moi.

    - Mais si elle, elle le fait ?

    - Fais-moi en part pareil et j’y règlerai son compte.

    - D’accord. »

     

    Alika se leva à son tour et commença à préparer ses choses. Balsa alla la porter chez leur père en lui souhaitant bon courage, même si sa cadette exprimait un dégout profond, et elle alla travailler jusqu’au soir. Son job : conseillère et entraineuse dans une salle de musculation. Là-bas, elle croisa Naomi Kusanagi qui était venue s’entrainer un peu. Elles parlèrent un moment, avant de retourner à son boulot, appeler par une jeune femme qui demandait son aide. Elle devait avoir vingt ans.

     

    « C’est possible d’avoir une bonne souplesse à mon âge ou il est trop tard ?

    - Non, c’est tout à fait possible, la rassura Balsa, avec de l’effort et de la détermination, bien sûr.

    - Je n’ai pas cette détermination...

    - Je peux te poser une question ?

    - Oui ?

    - Es-tu compétitive ?

    - Assez oui.

    - Je vois. Je vais te coacher un moment, et puis ma sœur également est très compétitive. Quand on a de la compétition, c’est aidant.

    - Où je peux la trouver ?

    - Partout, et dans le domaine du sport, il y en a toujours. Il suffit de voir où et comment est la force de notre volonté.

    - Hmmm...

    - Si tu n’es pas convaincue, alors je vais te dire quelque chose : j’écrabouille ma petite sœur au sol quand elle fait le grand écart. Elle souffre, mais elle encaisse, car elle a un trop gros orgueil compétitif. »

     

    L’expression de surprise mélangée à une sorte de dégout que sa cliente exprima, laissa Balsa hilare un moment avant de l’aider dans son entrainement. Lorsque son chiffre d’heures fut terminé, elle observa le texto de Motoko. "Fais-tu de quoi à soir ? Je passerai chez toi pour une petite visite." Balsa lui répondit joyeusement qu’elle pouvait passer quand elle le voudrait et que sa sœur était chez leur père. 

     

    « Hier... tu nous as dit que ta mère était décédée dans un accident de voiture à cause d’un fou qui avait bu de l’alcool et qui avait conduit en état d’ébriété, répéta Motoko, une fois chez son amie.

    - Oui.

    - ... Je peux te demander comment tu as réagis quand tu as... appris la nouvelle ? Si ce n'est pas indiscrets... »

     

    Balsa sourit même si la douleur du souvenir de sa mère était encore présente dans son cœur. Beaucoup moins forte que les premières années, mais toujours là, comme un pincement lorsqu’elle y  pensait.

     

    « Viens, on va en parler devant un bon chocolat chaud, t’en dis quoi ?

    - Ma foi, si tu veux, sourit la cyborg. »

     

    Une fois bien installées, Balsa l’observa dans les yeux.

     

    « J’avais huit ans. Ça s’est passé trois jours après ma fête. C’est depuis ce temps-là que le jour de mon anniversaire me répugne comme la peste et même si ma petite sœur me souhaite bonne fête et m’offre  un cadeau – pour éviter que j’oublie à quel âge je suis rendue – (elle rit, Motoko aussi) je ne fais plus de party depuis mes neuf ans. J’en organise à ma petite sœur, oui, mais moi, oubliez.

    - Mais cette année-

    - Oui je sais. En fait, le party surprise de cette année a un peu apaisé ma répugnance face à cet événement. Quand j’ai appris la nouvelle, j’étais à l’école primaire. Ma mère avait dit qu’elle viendrait me chercher le soir et qu’on irait magasiner de quoi.

    - Et ?

    - Bah, je suis restée assise sur les marches de l’escalier de l’établissement scolaire durant une demi-heure. Un enseignant m’a vue. Il m’a demandée si quelqu’un était supposé venir me chercher. J’ai dit que oui. Il m’a dit : "Viens, je vais te ramener chez toi. Près d’une heure s’est écoulée. Ton papa doit être inquiet." Il m’a alors ramenée chez moi et quand j’ai ouvert la porte, Matante* Yuka était là. Je ne comprenais pas trop ce qu’elle faisait là, mais j’étais ravie parce que ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vue. "Matante Yuka !" m'étais-je écriée en me jetant dans ses bras. Je lui ai demandé pourquoi elle n'était pas venue me chercher à la place de maman. Elle m'a dit qu'elle venait à peine d’arriver via dix minutes et qu'elle avait dû aller chercher ma petite sœur à la garderie. En soirée, alors qu'Alika était au lit, j’ai espionné ma Tante qui parlait au téléphone, elle semblait troublée et sa voix était tremblotante. Maman et Papa n’étaient toujours pas là... quand elle m’a vue, elle a raccroché et m’a demandée d'approcher. »

     

    Balsa ferma les yeux. Motoko ne réagit pas, ou si oui, elle avait affiché un regard navré.

     

    « Elle m’a pris dans ses bras, m’a assise sur ses genoux. Elle m’a parlée de la mort, ce que je savais sur la mort. Après cela, elle m’a dit tout simplement : "Maman est morte." Sur le coup, je n’ai pas compris et j’ai ris comme si elle faisait une blague. Mais en voyant son air devenir plus nerveux, plus triste également, j’ai compris que c’était sérieux. Elle m’a expliquée qu’on ne pourra plus lui parler, ne plus la voir, la serrer dans nos bras, manger avec elle, ni dormir avec elle. Ce n’était pas facile pour elle de m’expliquer le tout...

    - N’était-il pas possible de transférer son corps dans un corps complet cybernétique ? osa demander Motoko.

    - Non. Elle est morte sur le coup... à ce qu’il paraîtrait.

    - Ah d’accord... à ce moment-là, le Ghost est déjà parti...

    - Le Ghost ?

    - L’âme dans un cyborg ou une intelligence artificielle qui permet de faire de l’individu une personne unique à part entière.

    - Oh, je vois.

    - Continue ton histoire.

    - Au bout d’un moment, j’ai compris, mais je refusais de le croire... jusqu’à ce qu’une nuit, une sorte de "déclic" se fasse dans ma tête.

    - Quelle sorte de déclic ?

    - Le fait que maman ne reviendrait jamais. Je me suis réveillée en pleine nuit, après avoir rêvé d’elle. J’ai crié son nom, j’ai pleuré, je piochais dans mon lit avec mes coups de pieds et mes coups de poing. J’ai même frappé mon père qui tentait de me calmer dans ma fureur, Alika pleurait aussi en me voyant si énervée. Je ne comprenais pas trop ce qui m’arrivait. Il s’est passé pleins de choses par la suite. Pour une raison que j’ignore, j’avais peur d’embarquer dans la voiture de notre père, je me suis mise à éviter la section "jouets" des magasins et je me suis mise à "surprotéger" Alika. Je ne voulais pas qu’elle se blesse, je ne voulais pas la perdre, je la regardais tout le temps quand elle était au parc, je l’empêchais même de nager à la piscine. Si elle nageait, je la tenais par le maillot de bain.

    - Vraiment ?

    - Oh oui. Non mais ho ! t’imagine ta grande sœur de douze ans qui retient sa petite sœur de huit ans par le maillot de bain alors qu’elle veut s’amuser avec ses amis ?

    - Eh ? T’as vraiment fait ça ?

    - Oui... elle m’a souvent piquée des crises...

    - Et tu réagissais comment ?

    - En pleine crise d’adolescence, je pétais ma coche et je l’engueulais également, je la lâchais pas.

    - Ayoye... »

     

    La sœur aînée sourit en se revoyant, en train de tenir tellement fort le maillot de bain de sa petite sœur qui gigotait, qu’elle en perdait son maillot.

     

    « Je me suis superposée dans le rôle de notre mère avec elle. Je n’ai pas été à l’école durant les deux ans qui ont suivi la mort de ma mère. Je n’avais presque pas la force de sourire, je ne voulais rien faire, je n’avais même la force de tenir un crayon et de faire des calculs avec ma tête.

    - Rien faire... dessiner, écrire, jouer aux pouliches ?

    - Exactement, rien de tout ça. Il y avait juste ma petite sœur qui comptait à mes yeux. Sans elle, je restais assise à fixer quelque chose ou passer mon temps à dormir. Mon père est tombé en dépression, encore là, je crois qu’il est encore dans la phase d’engourdissement du deuil...

    - Avais-tu un psychologue ?

    - Oui, et Matante Yuka était déjà d’un grand soutient à elle seule.

    - Et concernant tes années scolaires ?

    - J’ai redoublé de deux années. J’aurai pu prendre des cours maison, mais j’étais tellement mal mentalement que j’étais dans une phase où penser aux mathématiques, à mes fautes de français et tout, m’était totalement impossible à faire. Normalement, ma petite sœur et moi avions cinq ans de différences dans nos niveaux scolaires, mais ça s’est réduit à trois ans. Mais, par contre, le seul point positif à avoir redoubler deux fois, est que je me suis retrouvée dans la même classe que Tanda.

    - Vous vous êtes rencontrez là ?

    - Non, bien avant ça. Je l’ai connu quand on était à la garderie, quand on se faisait garder par Grand-Mère Torogai.

    - Je vois. Et puisque tu étais plus vieille, ton corps rendu à la puberté entrainait-il des moqueries ?

    - Oui, très souvent. Essaie de passer inaperçu dans une classe de quatrième année quand t’as déjà des seins qui poussent, que t’es la plus grande de ta classe, la plus formée également et surtout, qui a le combat du mois...

    - À bas les règles... Ça n’a pas dû être facile...

    - J’étais devenue à moitié garçon manquée à l’école, à demi maman et grande sœur chez moi.

    - Aouch... »

     

    Motoko prit une autre gorgée de son chocolat chaud et continua d’écouter attentivement Balsa.

     

    « J’en ai frappé des garçons, j’en ai envoyé chier des professeurs, j’en ai engueulé des filles qui étaient jalouses de mon corps, ou encore, qui me traitaient de "femme à gros seins". Bon, en même temps ce n’est pas faux (elle sourit en riant), mais ma poitrine a de quoi faire rougir bien des femmes. Avoue.

    - Ça, c’est vrai. Tu portais quelle taille quand tu avais dix ans ?

    - Ça a passé des tops de sports à du AA au A.

    - D’accord. Et en sixième année, tu portais du combien ?

    - Du B. J’avais quatorze ans en sixième année. Mais mon cas était un cas très rare, mes enseignants me connaissaient bien et savaient que la mort de ma mère m’avait beaucoup affectée. Ils savaient également que mon corps était plus mature que mes autres camarades de classes, et que si j’avais des problèmes, je pouvais leur en parler n’importe quand.

    - C’est bien. Et Alika, elle a des souvenirs de votre maman ?

    - Non. Elle se sent surtout coupable.

    - Coupable ?

    - Que je me sois occupée d’elle à la place de faire mes choses, de faire mon propre cheminement. Mais j’ai fait ça par simple réflexe, je crois.

    - Tu as donc un peu déteint la réussite que tu n’as pas pu accomplir sur elle dans ce cas.

    - Un peu.

    - Aucun regret à l’avoir à moitié-élevée ?

    - Aucun. Elle a toujours été consciente du rôle que je m’étais moi-même imposée pour me donner une raison de vivre... je te jure, si Matante Yuka n’aurait pas été là, ou si ma sœur ne serait jamais née, je pense que je me serai mutilée et suicidée. La nouvelle de la mort de ma mère était au-dessus de mes forces, je n’étais encore qu’une enfant... »

     

    Un silence plus ou moins gênant s’écoula.

     

    « Enfin, tu connais maintenant l’énorme blessure dans mon cœur que je cache. C’est pour ça que je suis dure de temps en temps... ou pas.

    - Oui, je comprends. Mais tu n’es pas dure. Tu ne parles pas beaucoup ni pour rien. Tu préfères observer et analyser les situations. Es-tu introvertie ?

    - Je dirais oui. Alika est entre les deux, intro et extravertie. Et toi ?

    - Je suis introvertie. Mais avec toi, j’ai de la "jasette" en sacre bleu...

    - C’est vrai... moi également, même chose avec toi ! »

     

    Motoko se leva, Balsa la suivit du regard. La cyborg s’arrêta en face d’elle et, sans plus attendre, la serra dans ses bras dans une grosse étreinte.

     

    « Ça n’a pas été facile pour toi et ta sœur. Je veux faire quelque chose moi aussi.

    - Tu n’as pas à t’inquiéter pour moi.

    - Je ne suis pas inquiète pour toi. Tu es forte.

    - Forte ? Moi ?

    - Oui. (elle se retira et la prit par les épaules en la regardant dans les yeux) C’est plus dur pour toi que pour n’importe qui d’autre. Mais tu le supportes. Je pense que la plupart des gens ne pourraient pas supporter la douleur... c’est mon impression.

    - Pour qui me prends-tu exactement ?

    - Ne te méprends pas. Je ne dis pas que tu es sans cœur. Au contraire, tu es plus sensible que la plupart des gens. Mais tu es capable de supporter la douleur et la tristesse et de continuer à vivre. Tu as également réussi à te trouver une raison pour ne pas abandonner ta vie, je veux dire, te suicider. Cette raison, c’est ta petite sœur. Nous ne sommes pas tous aussi forts que toi et réfléchis.

    - C’est un compliment ?

    - Oui.

    - Puisqu’on est parti sur le sujet..., réfléchit Balsa, j’aimerai t’avouer un fait...

    - Vas-y (elle rapprocha sa chaise de continua de la regarder dans les yeux).

    - Jure-moi que ça ne va pas te déranger.

    - Très chère, que tu me toucherais les seins ou me claquerais une fesse, je m’en ficherais ! Qu’est-ce qu’il y a ?

    - ... Je ne l’ai vraiment accepté qu’à dix-huit ans... mais, voilà... (elle soupira) je suis bisexuelle depuis toujours. J’ai toujours eu une attirance autant physiquement qu’émotionnellement pour les femmes et les hommes.

    - Tu as déjà essayé avec une femme ?

    - Non... je n’ai eu qu’un seul petit-ami dans toute ma vie.

    - Tanda ?

    - Oui. Mais je sais que je peux avoir une attirance pour les femmes. Ça, j’en suis certaine. C’est un peu à cause de ça que notre relation a cessé... je voulais trop essayer d’avoir une relation avec une femme.

    - Et tu as réussi ?

    - Non, je suis trop renfermée pour aller vers les inconnues... avec un "e". »

     

    Motoko sourit.

     

    « Et avec moi ? Au début je n’étais qu’une étrangère pour toi.

    - Je sais, mais tu m’as montée au Cégep le jour de l’accident et tu m’as raccompagnée. On s’est parlé, on s’est croisé et tout... donc... non, je t’ai considérée comme mon amie la première semaine de notre amitié.

    - J’en suis flattée ! Et tu sais quoi ?

    - Quoi ?

    - Je le suis également.

    - De... ? Tu es bisexuelle toi aussi ?

    - Oui. La plupart pense que je suis lesbienne, mais non, je suis bi à tendance lesbienne, ce n’est pas la même chose. Enfin... un peu.

    - Je vois, oui.

    - Ça me dérange un peu les gens qui pensent des bisexuels : "Oh ! mais il/elle se cherche encore, ça va passer, un jour il va choisir" alors que non, on ne se cherche pas, on a une préférence aux deux sexes. Je peux être très fidèle même en étant une bisexuelle.

    - Ça, je le crois.

    - Et ta petite sœur semble bien l’accepter en tout cas.

    - Elle le sait depuis ses treize ou quatorze ans. Bien qu’elle ait toujours été ouverte à ce sujet, au début, elle était un peu sous le choc. Elle n’a rien dit et elle est partie dans sa chambre quelques minutes, puis, plus tard, elle revenue me voir et m’a dit : "Ça ne me dérange pas que tu le sois Oneesama. Ça ne va rien changer aux sentiments que j’éprouve pour toi en tant que petite sœur. Si toi tu es bien avec ça, c’est le principal." et elle m’a offert un câlin. "Tu auras une femme qui t’aimeras comme tu es."

    - Déjà qu’elle fut compréhensive sur ce cas-là, alors, c’est l’amie et la sœur idéale qui accepte presque tout ce qu’il y a de marginale.

    - C’est vrai. »

     

    La jeune cyborg joua dans les longs cheveux bruns et lisses de son amie.

     

    « Et comment a réagi ta famille ?

    - Sur ce point-là, ç’a plutôt été mitigé. Mon père, encore dépressif de la mort de ma mère, a pris encore plus de distance vis-à-vis moi. Heureusement, j’étais déjà en appartement, j’avais ma voiture et une job, alors j’ai eu la chance de ne pas avoir à me manger les remarques biphobes des membres de ma famille. Or, la plupart des membres de ma famille habitent à huit heures d’ici, donc ils ne le savent pas.

    - Même par facebook ?

    - Ouais, je n’y suis presque jamais. Pour revenir au sujet, je n’ai que MaTante Yuka qui est la plus proche de chez nous, qui est à deux heures et demie de route d’ici. Et elle, elle s'en fou, elle a dit la même chose que ma sœur.

    - Ça te fait souffrir ?

    - Non. C’est comme ça, il n’y a aucune justification que je dois faire sur mon orientation sexuelle, et tant que moi je suis bien là-dedans, c’est le principal.

    - Et tu as amplement raison.

    - Viens, j’aimerai te montrer des photos et des vidéos de ma maman.

    - Avec joie ! »

     

    * * *

     

    Dès que la voiture de sa grande sœur repartit, Alika sentit une énorme boule se former dans son estomac au point d’en avoir mal. Elle resta figée un moment, devant la maison de son père. Puis, elle inspira et avança, déterminée, vers la porte qui – selon elle – la mènerait aux  enfers de Satan. Elle jeta un faible « Salut » à son père assit sur le divan, en train de caresser la main de sa belle-mère. Cette vision d’horreur faillit la faire crier et elle s’empressa d’aller à sa chambre. Elle s’écrabouilla sur son lit et soupira de lassitude, puis de colère. Elle mit ses deux écouteurs sur les oreilles et décida de mettre Good Time – Owl City. En après-midi, elle hurla – intérieurement – de joie quand Saki annonça qu’elle allait passer son après-midi à magasiner avec ses amies. C’est à ce même moment qu’elle reçut la visite du meilleur ami de son père : Jiguro Musa. Il était musclé, costaud et mesurait 1m72. Bien que son physique en impose, il était très sympathique.

     

    « Bonjour Jiguro ! sourit-elle.

    - Bonjour Bal-

    - Alika.

    - Alika c’est vrai ! Excuses-moi, je trouve juste que tu ressembles beaucoup à ta grande sœur.

    - On me le dit souvent, viens, entre !

    - Merci. Ton père est-il là ?

    - Oui. Papa ! l’appela sa cadette. Jiguro est ici !

    - J’arrive. »

     

    Alika les laissa s’entretenir ensembles devant un bon café et en profita pour aller fouiller secrètement dans la chambre de son père. Au début, elle avait pensé que son père aurait laissé quelques photos de sa mère, mais lorsqu'elle pénétra la pièce, tous les cadres de mariage, tous les albums photos ayant appartenus à leur mère avaient disparu. Pire que ça : des boîtes de cartons étaient entreposées un peu partout. La pauvre Alika n’y comprenait presque plus rien. Elle ouvrit alors la garde-robe, repoussa les chemises pas encore emballées de son père et trouva la boîte où tous les souvenirs avait été rangé dedans. Elle ouvrit l’album photo et resta de longs instants dans la garde-robe en regardant les photographies, une par une. Elle souriait en voyant les moues boudeuses de sa grande sœur, ou elle en train de pleurer, le visage couvert de chocolat. Elle emmena un album photos dans sa chambre, discrètement, et le mis dans son sac. Alors qu’elle lisait les écrits de son amie Naomi, elle entendit un bout de la conversation entre son père et Jiguro.

     

    « Qu’est-ce qu’il y a de neuf dans ta vie ? demandait Jiguro.

    - Oh ! pas grand-chose. Je m’apprête juste à déménager en Ontario avec ma blonde Saki.

    - Pourquoi ?

    - Parce que je me suis trouvé un job là-bas, et que changer d’atmosphère ne me fera pas de mal.

    - Et tes filles, sont-elles au courant ?

    - Je pensais les avertir demain.

    - Je vois. Alors avant que tu ne partes, je voudrais bien te dire une chose moi aussi.

    - Vas-y voyons.

    - Je ne sais pas comment annoncer ça... mais... j’ai le cancer. »

     

    Le cœur d’Alika fit un saut dans sa poitrine, comme si un poignard s’était planté dans son organe. Il y eut un long silence, que même la moindre mouche n’osait interrompre. Puis, ils se remirent à parler. Cette fois-ci, de la maladie, de la mort. Des sujets que la petite sœur de Balsa n’aimait pas aborder. Mais elle ressentait un besoin de pleurer et elle se vida le cœur en silence, dans son oreiller qui absorbait toutes ses larmes. À force de pleurer, ses yeux s’alourdissaient et elle s’endormit jusqu’au soir. Ce fut son père qui la réveilla et qui lui dit que le souper était prêt. Jiguro était reparti. Bien qu’Alika aimait beaucoup son père, il y avait toujours une étrange atmosphère qui régnait entre eux. Pour une des rares fois, Saki n’était pas là pour bousiller leur souper. Donc, elle tenta de jouer le tout pour le tout, étant habituée de discuter en plein souper avec sa sœur.

     

    « Hum... Papa ?

    - Oui ? (il prenait une bouchée de son poulet)

    - Je peux aborder un sujet avec toi ?

    - Pas un cancer toujours ?!

    - Panique pas ! s’enflamma-t-elle soudainement. Laisse-moi terminer !

    - Vas-y, je m’excuse.

    - Tu aimes... Saki ? demanda sa jeune fille, timidement.

    - Oui, je l’aime. Je vais même-

    - Déménager avec elle en Ontario, je sais. Mais je ne comprends pas pourquoi tu ne nous l’as pas dit plutôt.

    - Je croyais que tu étais bien avec Balsa à son appartement.

    - Oui, c'est vrai... mais à part Matante Yuka, on aura plus personne de proche sauf elle...

    - Je me suis trouvé un job là-bas. Ça va me faire changer d'air et m'aérer l'esprit. »

     

    Alika continua de regarder son assiette et mangea encore tranquillement. Le restant du souper se passa un peu trop silencieux à son goût.

     

    « Papa ?

    - Quoi ?

    - ... Ça te dérange tant que ça que Ba-Chan soit bisexuelle ?

    - Non, ça ne me dérange pas du tout ! Ce n’est pas ma vie, c’est la sienne. Tant qu’elle est heureuse dans tout ça, c’est ce qui compte.

    - Alors pourquoi avoir pris tes distances ?

    - C’est elle qui a pris de la distance, et puis, c’est une jeune adulte indépendante maintenant. Je suis fière d’elle, même si je l’exprime peu.

    - D’accord...

    - Tu sembles douter ces derniers-temps, qu’est-ce qui se passe ?

    - Bin, c’était juste l’impression qu’elle me donnait : que tu avais pris tes distances à cause de son orientation sexuelle.

    - Pas du tout, ne t’en fais pas.

    - Est-ce que tu penses à maman de temps en temps ?

    - Voyons ma chérie, bien sûr que j’y pense. À tous les jours. Elle m’a donnée les deux plus belles choses dans ma vie : toi et Balsa. Mais je dois tourner la page et refaire ma vie.

    - Plutôt la continuer. Si tu la refais, tu vas nous perdre.

    - Qu’est-ce que tu veux dire ?

    - Bin... si tu la refais, tu recommences tout à zéro.

    - C’est une expression ma belle.

    - D’accord... mais tu vas continuer à nous écrire ?

    - Bien sûr. »

     

    Ils terminèrent de manger. Saki revint, et ce qui énervait encore plus Alika était le fait que son père n’intervenait jamais. Même quand elle jeta tout son blâme sur sa belle-fille cadette.

     

    « En tout cas, chose sure ta grande sœur était beaucoup plus responsable que toi à ton âge. Elle travaillait, elle avait sa voiture, son permis de conduire et elle allait en appartement en même temps que ses études. Aussi avant de devenir malade, être bisexuelle quoi ! Une hors la loi, contre nature ! Toi, tu es encore accrocher au crochet de ton père à dix-huit ans, jeune adulte ! Tu ne te débrouilles pas !

    - Retires tes mots de ma grande sœur et de son orientation sexuelle ! Tu es malade toi-même à avoir peur des personnes bi, gay, lesbi et transgenre ! Regarde ce que tu fais, de la discrimination ! Ces gens, hors la loi comme tu dis, ne font que s’aimer entre eux et ils ont droit ! Vivre et LAISSEZ-VIVRE !

    - Regarde-toi ! En train de défendre une cause stupide. Qui se met à pleurer à chaque fois qu'on lui dit les choses en face ! Encore en train de dépendre de ta sœur, pauvre elle, s'occuper d’une petite sœur qui ne veut pas s'aider, qui refuse de grandir, qui refuse de travailler ! Tu devrais avoir honte de dépendre de ta grande sœur ainsi, j'espère que tu es au courant.

    - Je le suis justement qu’est-ce que tu crois, pauvre idiote !

    - Alors tu vois ?! Une incompétente ! Vois-tu ? Ta grande sœur ne se sera pas toujours là pour te défendre. Et c’est mieux comme ça ! Heureusement, nous partons loin de vous. On va pouvoir avoir la paix ! »

     

    Cette vieille femme est folle... se déclara-t-elle en tête, bien que ses propos la blessaient. Alika soupira  bruyamment, ne voulant pas en rajouter une couche et s'enferma dans sa chambre pour pleurer en toute liberté. Elle avait déjà hâte au lendemain, là, elle expliquerait tout à sa grande sœur.

     

    * * *

     

    Au matin, Alika ne déjeuna pas, ce qui n’était pas dans ses habitudes, même si elle avait faim. Elle alla vers le Cégep avec son covoiturage. En cours de philosophie, elle pensait encore à ce que sa belle-mère lui avait crié la veille. Elle n'écoutait pas le professeur, se concentrait sur ses gargouillements de ventre pour éviter qu’ils ne soient trop forts et somnolait. Vers l'heure du midi, elle alla rejoindre sa grande sœur, assise sur les bancs avec Motoko. Balsa prit de ses nouvelles, mais les yeux d'Alika trahissaient ses émotions.

     

    « Tu as faim ? demanda Motoko.

    - Non...

    - Qu'est-ce qui ne va pas ? »

     

    Balsa termina de manger sa bouchée et colla sa petite sœur contre elle avant de l'observer dans les yeux.

     

    « Que se passe-t-il, Alika ? Qu'est-ce qui s'est passée hier soir ? Ça a encore dégénéré ?

    - Oui...

    - Raconte.

    - Hier...

    - Oui ?

    - Notre soi-disant belle-mère m'a réprimandée le fait que j'habitais en appartement avec toi, que j'étais un fardeau pour toi parce que tu payais mes études même si papa s'y mets aussi un peu... Que j’étais irresponsable, incapable de ne rien faire ! J’ai aussi appris que papa allait déménager en Ontario avec Saki, ses boîtes de déménagement commencent à se remplir, je les ai vues dans sa chambre... et... j’ai appris que Jiguro était atteint du cancer... mais je ne sais pas quelle sorte de cancer...

    - Oh merde... »

     

    Alika se mit à pleurer. Balsa caressa ses cheveux, la serra dans ses bras et la laissa se calmer.

     

    « Kleenex ? s'enquit Motoko en lui tendant un petit paquet.

    - Merci...

    - De rien.

    - Elle ne peut pas se centrer sur notre père et laissez notre vie de sœurs tranquille ?! s’énerva Balsa. Je sais bien que notre relation entre sœurs peut paraitre hors-norme, vu qu’on habite ensembles, qu’on ne se chicane presque pas, que je paie nos études, remarque que j’ai bien dit "nos études"... mais c’est notre vie quoi !

    - Tout comme moi et mon corps de cyborg, ajouta Motoko.

    - Exactement. Elle a dit autre chose, Alika ?

    - Elle a dénigré le fait que tu étais bisexuelle... et malade à cause de ça... que tu avais une maladie !

    - Estie ! (elle plaqua ses mains à sa bouche) Désolée d’avoir sacré, mais là, j’t’écœurée de son attitude. Non seulement envers toi, mais envers moi et à l’égard de notre père.

    - T’as pas être désolée, moi-même je tentais de vous défendre...

    - Je sais, ma belle, je sais...

    - Ça n’a pas l’air facile dans votre famille, sans être indiscrète, remarqua la jeune cyborg.

    - Oh non ! C’est un fait, tu as amplement raison. Mais, contrairement à ma sœur, moi je n’ai presque pas eu à faire avec notre père et Saki. C’est tout le temps Alika se fait jeter les pierres à la gueule et qui est rabaissée. »

     

    Alika se calma et accepta volontiers le plat de légumes que lui tendait sa sœur. Après tout, elle n’avait rien avalé depuis la veille. Balsa essuya une larme qui glissait sans retenue sur sa joue, rosit par l’émotion. Kuze, l’ami d’enfance de Motoko, vint les rejoindre et fit une grue en utilisant que sa main gauche.

     

    « Tu es gaucher ? demanda Alika.

    - Oui, depuis toujours. Et toi ?

    - Je suis ambidextre comme ma grande sœur. Tu arrives à faire des grues d’une seule main ?

    - Oui. J’arrive à en faire d’une seule main depuis l’âge de six ans, comme Motoko. »

     

    Motoko fouilla dans sa sacoche et en ressortit un assortiment de papier à origami coloré. Elle prit une feuille et lui offrit.

     

    « Challenge. Fais-en une de la main gauche sans utiliser ta main droite. »

     

    Balsa emprisonna le bras droit de sa sœur et celle-ci commença. En suivant toutes les étapes, elle arriva à un résultat satisfaisant pour sa grue. C’était un peu difforme, mais bien construit pour un début. Cela dû lui prendre dix minutes alors qu’avec ses deux mains, ça lui prenait seulement cinq minutes. Kuze observa son amie et, ensembles, offrir à Alika leur deux grues.

     

    « Pourquoi me les donnez-vous ?

    - Parce que j’en ai pleins à la maison, dit-il.

    - Et que selon une légende, continua Motoko, quiconque plie mille grues voit son vœu exaucé par les dieux. Il est aussi coutume d’en plier lorsqu’un proche ou un ami est malade. Si tu veux en plier pour Jiguro, je suis partante.

    - Moi également, tu en dis quoi ? proposa Balsa.

    - Oui ! »

     

    Dès que les cours terminèrent, Balsa emmena Motoko et sa sœur à une place précise : le cimetière. Alika l’observa, intriguée.

     

    « Je lui ai parlé de notre Maman, hier. Elle sait ce qui s’est passé.

    - Ah ! je vois. »

     

    Elles avancèrent dans l’allée centrale et arrivèrent dans une rangée. La jeune cyborg suivit son amie et trouva la tombe de sa mère, bien entretenue avec les années passées.

     

    « Papa est venu récemment, remarqua la plus jeune.

    - Comment le sais-tu ? s’enquit Motoko en s’approchant.

    - On a tous les trois quelque chose qui nous distingue quand on va visiter la tombe de Maman. Papa lui apporte toujours des lys blancs. Ba-Chan c’est... eh...

    - Je n’ai pas de préférence, mais les fleurs rouges me représentent normalement. Et Alika, c’est toujours artistique. Un bouquet de fleurs pour des occasions auquel elle rajoute des plumes, des brillants... tu sais, je viens parfois ici me réfugier quand je vais trop mal dans ma peau. Aussi loin que ça puisse paraître stupide pour certaines personnes, un endroit comme celui-ci, qui fait frissonner la plupart du monde à confronter la mort de face, me fait du bien. »

     

    Balsa s’assit sur son manteau noir, à même le sol boueux, le dos accoté contre la tombe de sa mère. Elle ramena ses genoux proche de son corps et ferma les yeux un instant. La tranquillité du printemps les absorbait peu à peu toutes les trois avec le chant des oiseaux printaniers.

     

    « Motoko ?

    - Oui ?

    - Je parle souvent à Maman. À haute voix même. (elle observa sa sœur qui observait les ornements des autres tombes) Dans la voiture, à l’épicerie parfois, à l’école... Quant à Ali’, elle ne parle jamais à haute voix en ma compagnie. Je pense qu’elle en est gênée, mais elle m’a confiée qu’elle lui parlait parfois. Depuis mes huit ans, j’ai pris comme habitude de lui raconter mes anecdotes, mes journées, ce que j’ai fait. À la fête des mères, on passe notre journée au lit, à dormir, puis on se rend au cimetière. C’est une tradition entre Ali’ et moi. Il n’y a aucune gêne à parler à une tombe, les mots s’envolent avec le vent et atteignent les âmes de ceux qu’on aime et qui veillent sur nous... tu n’es pas trop mal à l’aise, Motoko ?

    - Non, pas du tout ! Je sais que c’est important pour toi d’en parler. Et c’est normal. »

     

    À son tour, Motoko vint rejoindre son amie, s’assit à même le sol et accota sa tête sur son épaule. La main de Balsa, comme de façon aimanté, se mit à caresser les cheveux doux et soyeux de son amie.

     

    « Maman... murmura-t-elle, je te présente Motoko Kusanagi. Nous nous sommes rencontrés d’une étrange manière, mais je peux dire que c’est vraiment quelqu’un de bien, quelqu’un de merveilleux et qui m’aime telle que je suis. »

     

    La jeune cyborg regardait le sol, mais si elle se serait plus redressée, Balsa aurait sûrement vu des rougeurs prendre possession de ses joues avec un sourire béant. Alika arriva en face d’elles avec une moue déçue. Comprenant immédiatement son expression, Balsa ouvrit son autre bras de libre et sa sœur se dépêcha de venir la coller à son tour pour se laisser engloutir dans le doux murmure du vent.

     

    ♦ ♦ ♦ ☆ ♦ ♦ ♦

     

    C’était le chapitre 10 !

    J’espère que je n’ai vexé personne en écrivant ce chapitre. Bien que j’aie eu relativement du plaisir en l’écrivant, j’avais également peur de faire monter des lecteurs sur leurs grands chevaux, car en fait, la mort ne m’a jamais vraiment touchée dans ma famille et j’ai peur d’aborder ce thème. J’ai écrit selon comment moi j’aurai réagis, et j’espère que c’est correct, même si le deuil est différent pour chacun, mon but n’était de viser personne, rassurez-vous. J’avoue que j’aime beaucoup ma fin cependant =)

     

    Quant à la mort de la maman de Balsa, je me suis inspirée d’un fait réel dans mon entourage d’amis et connaissances. Une petite fille, qui faisait du Karaté avec moi, Fay, venait d’avoir huit ans et trois jours plus tard, sa maman – que je connaissais un peu – est décédée d’un accident de voiture sur l’autoroute... et c’est un peu à cause de ça que je m’en suis inspirée.

     

    * « Matante » ici au Québec est utilisé pour dire Tante ou en bon français, « Tata ».

    « Chapitre 9Chapitre 11 »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :