• Chapitre 7 : Fille de roturiers

    Chapitre 7 : Fille de roturiers

    Le souper nous attendait toujours à la maison. Maman le réchauffa et on mangea en parlant du matche de Rucha. Par la suite, elle me donna mon bain et on alla tous les trois se coucher. Je me plaçai à la droite de Maman, tandis que Niisan se mit à sa gauche.

     

    « Bonne nuit les enfants.

    - Bonne nuit Maman !

    - Bonne nuit Balsa, bonne nuit Alika. »

     

    Je me couchai en soupirant. Je fermai les yeux et m’endormis. Mais vers le milieu de la nuit, j’ouvris les yeux sur le plafond. Je voulus me tourner sur le ventre, mais j’en étais incapable. Mon corps ne me répondait plus. Je tentai de parler, mes lèvres ne bougeaient pas. Je ne suis pas morte, je ne suis pas morte... me répétai-je. Je tentais de soulever mon pied, mais toujours rien. Je demeurais allongée sur le dos, parcourant des yeux la pièce plongée dans le noir, ne pouvant que constater au fur et à mesure que le temps s’écoulait que j’étais littéralement prisonnière de mon propre corps. Je me mis à manquer d’oxygène, comme si j’étouffais. Comme si quelque chose s’appuyait sur ma poitrine pour m’étouffer. Je pouvais entendre ma respiration siffler, et plus je forçais sur ma poitrine pour aspirer plus d’air, plus celle-ci semblait se bloquer et se compresser, comme sous l’effet d’un énorme sac de sable invisible posé sur moi. Je paniquais : je rêvais ou j’étais réveillée ?! Maman était à mes côtés, je le savais. Je criai son nom... mais je ne pouvais pas remuer les lèvres. Les seuls signes qui obéirent à mon esprit, furent mes larmes qui roulèrent de mes joues. Paniquée et apeurée, mon cauchemar n’était pas terminé. Prisonnière de mon propre corps, voilà que des ombres sortaient d’entre les murs. Elles rôdaient autour de moi.

     

    Une respiration, au début imperceptible, puis de plus en plus clair et marquée parvint à mon oreille. Et au fur et à mesure que je réalisais que « quelque chose » ou « quelqu’un » respirait à côté de moi, ce souffle se faisait rauque et sifflant, et paraissait se rapprocher, dans mon dos. Quelque chose marchait sur mon ventre, et de gauche à droite, comme un chat. Mes yeux, inondés de larmes regardaient dans toutes les directions possible, ma respiration était perdue. Maman apparut dans mon champ de vision, au-dessus de moi, et au simple contact de sa main chaude sur mon front, tout cessa.

     

    « Alika ? »

     

    Mon esprit reprit contrôle de mon corps. Un torrent de larmes s’échappa de mes yeux et je me mis à pleurer bruyamment, tremblant tous les membres de mon corps. Elle me prit dans ses bras et m’accota sur elle. Chagum se réveilla aussitôt lui aussi.

     

    « Maman ! J’avais peur, je pouvais plus bouger du tout, j’entendais des voix et une respiration démoniaque, je voyais des ombres... ! J’ai crié ton nom... mais tu n’as rien fait !

    - Ah ? Je n’ai rien entendu... pourtant, quand je me suis réveillée pour aller boire de l’eau, ta respiration n’était pas la même. Elle semblait difficile, lourde en sommes. Tu avais les yeux ouverts, ça c’était certain, mais tu pleurais en silence, seules tes larmes coulaient et ton corps était raide. J’ai donc posé ma main sur ton front pour voir si tu allais bien... On va demander à Papa ce que tu as eu. Viens avec moi, on va aller prendre de l’eau ensembles. »

     

    Elle se leva, moi cramponnée à elle comme un bébé Koala, vite suivit de Chagum. Elle me donna un verre qu’elle remplit grâce à la louche avant de se servir, elle et Chagum. On retourna dans la chambre à coucher et je ne pus fermer les yeux, encore terrorisée de mon expérience. Je me collai contre Maman et elle me prit dans ses bras avant de s’endormir. Le lendemain, je dormis plus longtemps, histoire que je récupère mes heures de sommeil perdu. Les pas de Chagum résonnèrent dans la pièce et il me secoua l’épaule.

     

    « Alika ? Debout, on part bientôt.

    - Hein ? Où ça ?

    - Chez ton père. Ta maman veut qu’on y aille.

    - Oh... d’accord, je m’habille. »

     

    Je soulevai les draps et m’étirai de façon très gymnaste. Je me déshabillai et mis mes vêtements avant de plier de mon mieux le futon et mon pyjama. Je pris mes deux attaches à cheveux et descendis en bas. Maman préparais ses choses pour aller chez Papa.

     

    « Enfin levée.

    - Oui... (je lui montrais mes attaches)

    - Assieds-toi. »

     

    J’obéis et lui passai la brosse. Une fois peignée et tout le monde préparé, on prit la route et on se dirigea vers le refuge de Papa. Là-bas, on restait dans la pièce principale de la cuisine durant que mes parents discutaient, l’air grave.

     

    « Est-ce que tout ira bien ? s’inquiéta-t-il.

    - Je n’ai pas l’impression que quelqu’un nous suive.

    - Ce n’est pas ce que je voulais dire. À en croire la lettre, je ne pense pas qu’on puisse lui faire entendre raison.

    - C’est vrai, répondit-elle. Une chose est sûre, quelqu’un qui pourrait nous causer des ennuis m’a vue.

    - Qui est ce guerrier, Kalbo ?

    - Un concurrent, en quelque sorte. Il y a trois ans, lorsque j’ai sauvé un client des griffes d’un esclavagiste, il était le garde du corps adverse.

    - Ne pourrais-tu pas faire profil bas-là aussi ?

    - Je veux vivre au moulin jusqu’à ce que le Torogai-Shi revienne, mais je n’ai pas le choix, puisqu’il me menace de tout raconter à la cour si je n’y vais pas. Si l’on nous retrouve maintenant, nous perdrons tout. Je ne peux pas laisser filer quelqu’un qui me sait en vie. Il sait peut-être que Chagum est en vie, lui aussi... pire, peut-être qu’il sait qu’Alika est ma fille.

    - Notre fille, corrigea l’apothicaire.

    - Notre fille... J’ai fait le vœu de ne tuer personne, donc, j’éviterai de le tuer, de toute façon. Prend soin de Chagum et d’Alika, s’il te plait. »

     

    Et elle partit à la course au loin. Je laissai mon regard suivre Papa des yeux.

     

    « Tout ça parce que je suis allé au festival... dit Niisan.

    - Ne te tracasse pas pour ça. Ce serait arrivé tôt ou tard. Je suis sûr que Balsa le sait aussi. Pourquoi ne ferions-nous pas quelques trucs ensembles. Je dois me rendre au village de Yashiro pour des commandes. Viens avec nous.

    - Oh... d’accord. »

     

    On descendit au village et alla voir les commandes. Par la suite, je m’assis à son stand et sortis de l’encre pour dessiner. Je passai des feuilles à Niisan pour que le temps passe plus vite.

     

    « Qu’est-ce que je peux bien dessiner ? se questionna-t-il en regardant la feuille blanche devant ses yeux.

    - Ce que tu veux, souris-je.

    - Et toi, tu dessines quoi ?

    - Des animaux. J’adore les animaux de la nature. »

     

    Je me mis à mon œuvre. Du coin de l’œil, je vis Niisan écrire un poème. Dès que la journée de Papa termina, on retourna au refuge. Je pris mon bâton en bambou et sortis dehors. Il fallait que je m’entraîne, les journées étaient trop monotones et je n’avais pas eu un seul temps pour pratiquer en paix. Il fallait bien pratiquer si un jour je voulais être comme Maman ! Je réchauffais mes muscles et me mis à exécuter ses katas de lance. Chagum sortit et me vit pratiquer sans rien dire. Je vis deux auras, non loin. C’est vrai, depuis que je vivais avec le second prince et Maman, j’étais tellement ravie que j’avais oublié mes deux amis esprits avec qui je discutais et m’amusais de temps en temps. L’un d’entre eux était un homme grand, costaud et fort, alors que la seconde était plus petite, mais avait les mêmes formes que Maman. Ah ça ! je ne peux pas encore dire leur nom... le temps n’est pas encore venu. Je fis un salto avant, puis, enchaina en faisant des huit et des séries de moulinets avec mon arme en bambou. Je souris et continuai mes enchainements avec plus de rigueur. Une fois terminé, je me retournai vers Chagum et souris. Il m’applaudit.

     

    « Alors ? me renseignai-je.

    - Tu es douée. Je suis sûr que tu seras comme ta maman plus tard.

    - Évidemment que je veux lui ressembler, souris-je.

    - C’est prêt ! annonça Papa.

    - Super, tu viens ?

    - Évidemment, quelle question ! Je meurs de faim. J’aime ressentir la faim. »

     

    Je me retournai avec un regard qui le traitait de « sado-maso » à la fois surpris.

     

    « Tu aimes sentir les gargouillis dans ton ventre ?

    - Oui. Je n’avais jamais ressenti ça auparavant, dans ma vie au palais.

    - ... Dis donc ! Moi je n’aime pas avoir faim. Selon Maman, je mangeais tout le temps quand j’étais plus jeune. Elle s’est même demandée si je n’avais pas un problème digestif tellement que j’avalais tout ce qui me tombait sous la main... même l’herbe dans la cour.

    - Tu manges... de l’herbe ?!

    - Ouais, c’est bon. Et les fleurs.

    - Et les plantes ?!

    - Celles qui sont comestibles. Papa me les a montrées. »

     

    Ce fut à son tour d’exécuté le regard traiteur de « sado-maso » mais mélangé à un petit dégoût.

     

    « Je suis fille de roturiers je te rappel.

    - C’est vrai.

    - Vous voilà, dit Papa.

    - Nous étions dans une conversation palpitante, l’aida Chagum.

    - Et quelle sorte de conversation, puis-je savoir ? (il déposa du riz dans un bol avant de mettre du ragoût)

    - Je disais qu’Alika était une vraie morfale.

    - Lui c’est un Sado-Maso qui aime avoir faim ! me défendis-je précipitamment.

    - Concernant le premier point, Chagum, tu as bien raison, rit Papa. Dès sa naissance Alika a pris le sein de sa mère et ne voulait plus qu’on la touche sauf sa mère. »

     

    Je plantai mon nez dans mon bol, rouge de gêne. Malaise, malaise, malaise dans la pièce... Papa continua de raconter mes anecdotes de lorsque j’étais bébé tandis que je préférais me concentrer à bien faire rentrer la nourriture dans ma bouche. Puis, il en vint au fait que Chagum aimait sentir qu’il avait faim. Je levai ma tête et le regardai, amusée.

     

    « Tu n’as jamais su ce qu’était la faim. Généralement, les roturiers n’aiment pas sentir qu’ils ont faim. Pour nous, c’est une sensation plus ou moins agréable. Souvent, ceux qui détestent le plus ressentir cette sensation sont les roturiers pauvres.

    - Surtout si ton ventre gargouille dans un endroit silencieux avec d’autres gens, l’appuyai-je.

    - Ah bon ? s’enquit Niisan.

    - Oui.

    - Au moins, je ne m’en plains pas, rit-il.

    - C’est déjà cela... contrairement à Ali~lili... me taquina Papa.

    - HEY ! protestai-je violemment.

    - Ça fait partie de toi ma chérie, je ne t’en veux pas. Tu es juste impressionnante.

    - C’est le cas de le dire, confirma Niisan.

    - Ne sous-estimez pas mes pouvoirs ! Je peux avaler un éléphant si je le voudrais ! m’égayai-je.

    - Je voudrais bien voir ça un jour. »

     

    Je souris face aux compliments et continuai notre repas.

     

    « Papa ?

    - Oui ?

    - Il faut que je te dise quelque chose.

    - Vas-y.

    - Cette nuit, je me suis réveillée et je suis restée paralysée. Pourtant, j’étais bien réveillée, mais mon corps ne m’obéissait pas... »

     

    Je lui expliquai ce que j’avais vécu cette nuit-là. Il réfléchit.

     

    « Ça pourrait être la paralysie du sommeil.

    - Quoi ?

    - Oui. Ça arrive quand ton corps est endormi, ou est sur le point de dormir et que ton esprit est toujours éveillé. Ce ne sont pas des manifestations paranormales, même si ça fait très peur.

    - Tu as déjà vécu ça, Papa ?

    - Une fois. C’est épeurant vraiment... un conseil : ne dors pas sur le dos. Dors sur le ventre ou sur le côté.

    - D’accord. Merci !

    - De rien, ma belle. »

     

    Après le souper, je jouais à la corde à sauter avec Niisan et on alla se préparer pour dormir. J’étais, certes, habituée de me laver seule, mais je préférais quand même être en présence de Maman qui me permettait de me réchauffer très naturellement. Je terminai de me sécher et mis mon kimono avant de monter au second étage pour m’étendre sur mon futon. Chagum vint me rejoindre quelques minutes plus tard. Papa nous souhaita bonne nuit et redescendit.

     

    « Dit Chagum...

    - Oui ?

    - Ta vie au palais, est-ce qu’elle te manque ?

    - Hum... Un peu oui. Mais en même temps, je suis heureux de vivre comme un roturier. Je sais maintenant comment les paysans pensent, comment ils arrivent à vivre, ce qu’ils ressentent quand la famine les prend d’assaut. Je ne déteste pas ça.

    - Crois-tu revenir à ton palais un jour ?

    - Je ne sais vraiment pas. Pour tout dire, je suis bien avec toi et ta maman... et ton papa.

    - Si tu partais, je serai très triste. Tu me manquerais.

    - Toi aussi. Allez, on devrait faire dodo.

    - Hai... »

     

    J’osai fermer les yeux, mais les rouvrit avant de sortir :

     

    « Avant de faire dodo...

    - Oui ?

    - ... Tu crois que Maman va revenir indemne ? »

     

    Niisan se tourna vers moi et sourit.

     

    « Tu le sais au fond de toi-même, non ? Ta maman est beaucoup plus puissante qu’elle ne le laisse paraître. Elle est forte et endurante, même à moitié coupée, elle se tiendrait sur ses jambes jusqu’à épuisement total. Personne ne peut rivaliser avec elle, prend exemple avec le match de Ruccha au Solstice d’été. Elle a gagné et j’ai eu ma promesse.

    - C’est vrai... j’avais oublié.

    - Alika, tu es chanceuse. Ta maman n’est pas comme les autres mères. Et un jour, tu seras aussi forte qu’elle.

    - Ouais !

    - Les enfants ? demanda Papa, en bas.

    - Oui, on dort bientôt, on parlait juste de Maman ! répondis-je avant de rire. Bonne nuit !

    - Bonne nuit. »

     

    * * *

     

    Au petit-matin, tandis que Chagum était occupé avec mon père et que je n’avais rien à faire, je pris ma branche de bambou et allait dans mon endroit préféré top secret, même Niisan n’en savait rien. Je vis les deux points lumineux s’approcher de moi : mes amis esprits ! Je les laissais me veiller et entrait dans une fente, dans le collet de l’arbre. Je descendis la petite pente et débouchai sur une petite caverne. Elle abritait une chute d’eau qui tombait dans une source d’eau clair et limpide, du gazon poussait comme sur un terrain plat, avec des fleurs et des rochers. Quelques papillons volaient avec d’autre insecte. C’était presque le paradis. En général, c’était mon endroit, mon sanctuaire de paix. Personne ne le connaissait, mais là, ma colère l’emporta : il y avait trois enfants, des garçons, d’à peu près six et sept ans, qui s’amusaient dans MA place ! Sans aucune crainte, comme le faisait ma mère, je me dirigeais de pied ferme vers eux.

     

    « Qu’est-ce que vous faites ici ?! tonnai-je.

    - T’es qui toi ? demanda le plus vieux, qui semblait être le plus vieux.

    - Je connais cet endroit depuis que je suis haute comme trois pommes, PERSONNE ne connait cet endroit à part moi !

    - Tu n’étais pas là quand nous sommes arrivés, désormais, cet endroit nous appartient. Premier arrivé, premier servit.

    - Il a raison, l’appuya son jeune frère, du moins, je crois.

    - Alors, la minette, dégages.

    - Non, répliquai-je, de façon têtue. Je me battrai s’il le faut pour conserver cette place.

    - Si tu veux te faire écraser par mon frère, je te conseillerai de rebrousser le chemin.

    - Pas question !

    - Tu veux te battre ?! me défia l’aînée.

    - Oui ! fis-je durement. Allez, je t’attends.

    - Cette fillette ne sait pas ce qu’elle veut, murmura le troisième garçon.

    - Elle va pleurer après avoir reçu un coup, ça c’est sûr.

    - Haha... ris-je. Essayez toujours.

    - Mon père était le meilleur maître d’arts martiaux de la ville.

    - Ma mère vient de Kanbal. Vous l’aurez voulu. Venez donc en premier, allez. »

     

    Le premier garçon, l’aîné se jeta droit sur moi et tenta un coup de poing droit. Je l’évitai aisément et fis une série de moulinet avec mon bambou avant de le frapper sur son bras. Il cria de douleur et tenta un coup de pied que je bloquai avec mon arme artisanale. Le second se mit de la partie. Je me retournai vers lui et bloquai ses attaques tout en contre-attaquant. Ils étaient deux contre moi, mais j’étais aussi têtue qu’un dalmatien. J’arrivais à leur tenir face. Je sautai dans les airs, très haut – tellement haut que je vis leur ébahissement – et offrit deux jolies coups de pieds en faisant le grand écart en plein visage, avant de revenir sur mes pieds. Le troisième garçon ne tarda pas à s’y mettre et me prit par le bras droit avant de me le tordre dans le dos, me faisant perdre mon bambou.

     

    « Tu as bien été jolie au combat, mais tu n’es pas encore assez forte !

    - Ah ouais ? »

     

    Je souris en coin et utilisant sa force comme me l’avait appris ma mère, je le fis complètement culbuter par-dessus-moi avant de le plaquer solidement au sol. L’aîné revint se jeter sur moi et cette fois-ci, je manquai de bloquer son poing qui me toucha directement dans l’abdomen. Je m’écrasai au sol et me fis écrabouiller par lui. Il me tenait solidement le cou, alors dès qu’il fut assez près, je le mordis à l’oreille, si fortement que je sentis une coulée, quand même assez faible, de sang dans ma bouche. Il me lâcha et j’en profitai pour lui donner un coup de pied et faire une culbute arrière et de me redresser. Le second tenta sa chance, mais je sortis mes ongles et l’empoignai solide avant de sauter avec lui dans les airs et de lui offrir un magnifique coup de genoux dans l’entrejambe. Je tremblais. Non pas de fatigue, mais de colère noire. Une énergie si profonde que mon corps ne le supportait pas.

     

    « Maintenant, partez et oubliez cet endroit. Je vous jure qu’il va changer de place ! les menaçai-je. GRRRRR ! »

     

    Ils reculèrent et partirent par l’entrée dont j’étais arrivée quelques temps plus tôt. Dès que leurs énergies ne se fient plus sentir, tous mes muscles qui étaient contractés au maximum se détendirent d’un coup et mon corps trembla de fatigue. Je marchais vers ma branche de bambou et m’étendis sur l’herbe fraîche. Je me reposai un peu puis me redressai : il me fallait cacher l’entrée de mon paradis secret au plus vite. Je ramassai des branches, des roches et des feuilles assez grandes pour créer un camouflage. « Tu devrais faire ça comme ça, me murmura mon amie esprit. Ça passera plus inaperçu et ça fera naturel. » Bonne idée ! Après quelques minutes, l’entrée était bien cachée et se fondait à merveille dans le décor. Je grimpai dans un autre arbre et entrait dans un trou pour y glisser jusqu’à ma caverne et atterrir sur un tapis d’herbe tendre pour amortir ma chute. Il y avait trois entrées pour accéder à mon paradis perdu, celle que j’avais bouchée, celle par laquelle j’étais entrée et une dernière, qui débouchai derrière un buisson sauvage de framboise. Je regardai le cadran solaire et vis qu’il était temps pour moi de rentrer pour le dîner du midi. Je sortis par ma troisième sortie, avalant au passage des framboises bien mures et filais au refuge de mon père.

     

    « Je suis là ! annonçai-je gaiement.

    - Te voilà, c’est bientôt prêt.

    - On mange quoi ?

    - Du riz accompagné de viande avec de bons légumes frais que Chagum et moi avons cueilli aujourd’hui. Et toi, qu’as-tu fais ma belle ?

    - J’ai joué dans la forêt ! Je la connais par cœur et je n’ai pas peur vu que mes amis esprits me guident et me conseillent.

    - Alika, nous n’avons pas ton imagination, me répéta à nouveau mon père.

    - Maman t’as bien dit que j’avais décrit Jiguro comme elle l’avait vue alors que je ne l’ai jamais rencontré ! Je peux aussi te décrire ton grand-père, Kunda, physiquement si tu veux. Il dit que tu es son portrait craché et moi aussi je trouve d’ailleurs... »

     

    Papa se retourna vers moi, surpris à la fois agacé.

     

    « Pas de ça à table, Alika.

    - Ah ha ! tu oses me croire enfin ?

    - Moi, je te crois, me rassura Chagum.

    - Vraiment ?

    - Oui. Le monde de Sagu est rempli de mystère et ça ne m’étonne pas que des gens comme toi puisse voir les auras, les gens décédés et d’autres choses qui restent inexpliqués aux yeux des roturiers. Mais moi, je te crois.

    - Merci ! »

     

    On prit nos bols et continua de parler, oubliant même que Papa était là, à nous regarder raconter nos histoires et nos croyances. Après avoir mangé et fait la vaisselle, je retournai jouer dehors avec Niisan. Je lui montrai la forêt et au moment où j’allais me diriger vers mon refuge, je revis les trois gamins en train de rechercher l’entrée de mon paradis, mais ils ne trouvaient rien !

     

    « Encore eux ! sifflai-je.

    - "Eux" ?

    - Ouais, je voulais te montrer mon petit coin de Paradis, mais avant-midi, ces trois garçons-là voulaient se l’approprier. Je me suis battue contre eux.

    - Tu t’es battue ?!

    - Ouais, je défends mon territoire et mon honneur !

    - Tu es comique. »

     

    Je souris et me dirigeai vers eux avec mon arme suprême : ma branche de bambou ! Chagum voulait m’en empêcher en mettant sa main sur mon épaule, mais je le tirai vers moi, le forçant à me suivre.

     

    « Vous cherchez l’endroit de la cachette ? demandai-je, narquoise.

    - Encore toi ?! pesta l’aîné du groupe.

    - Ouais, encore moi ! Je vous le dis, cette forêt est possédée, si vous continuez à vous aventurer, il va se passer quelque chose d’horrible pour vous. »

     

    Les trois pouffèrent de rire et le plus vieux me sortit :

     

    « T’es qu’une gamine de six ans, et en plus de ça, tu oses te vanter devant des personnes qui sont plus vieilles que toi ? Quelle bâtarde fais-tu ! »

     

    Sur le coup, je n’ai pas du tout compris ce que voulait signifier ce mot, mais je sentis Niisan devenir rouge de colère et entrer dans une rage noire contenue.

     

    « Retires tes mots, sale roturier ! ragea-t-il en se jetant sur lui. On n’insulte pas ma petite sœur ! »

     

    Petite sœur ? Ça y est, je sens que je vais l’adorer !

     

    « Niisan ! criai-je, un instant paralysée.

    - Tu ne sais RIEN de sa vie et nos parents sont des gens bien ! Je suppose que tu n’aies pas eu toute l’affection qu’il te fallait dans ton enfance, tu dois sûrement la jalouser !

    - Tu dis des conneries, cracha-t-il en poussant Niisan. »

     

    Je me mis également à tenter de les séparer. Je frappai les mollets du garçon qui se pétait les bretelles et celui-ci lâcha immédiatement mon Niisan. C’est ce que ma mère me faisait avec sa lance quand je faisais un mouvement incorrect qui aurait pu me tuer... oui si vous voyez ce que je veux dire. Je le tirai par la main et courus. Mon but était simple : les attirer dans mon endroit préféré.

     

    « Ils tentent de s’enfuir ! Rattrapons-les ! »

     

    J’arrivai dans une place sombre, très sombre de la forêt. Seul un halo de lumière se reflétait entre les branches des arbres et illuminait le centre de la place, en plein milieu du cercle d’arbres. Je demandais à Chagum de se terrer au plus loin dans le cercle, à l’opposé de nos poursuivants et je me plaçai sous le halo de lumière et ne bougeais plus en fermant les yeux. Je les entendis approcher, mais leurs pas de course se stoppèrent net. Je rouvris les yeux, les regardai en souriant. Bientôt, tous les oiseaux de la forêt prirent leur envol comme si quelque chose de menaçant arrivait. Les branches craquèrent et bientôt, plusieurs yeux jaunes, rouges, bleus et verts apparurent dans la pénombre. Des animaux ; des renards, des loups, des ours et j’en passe, avançaient vers eux en créant une embuscade.

     

    « Je vous avais prévenu que vous alliez le regretter... cette forêt m’appartient, et PERSONNE, sauf les voyageurs égarés et les blessés, ne peut se l’approprier. Maintenant, si vous le désirez, mes amis ont faim... »

     

    Je fis un signe et ils partirent à la course. En fait, je leur avais bien ordonné de ne pas les manger, mais uniquement les effrayer.

     

    « C’est... toi qui a fait ça ?

    - Oui.

    - Décidemment, j’en apprends toujours un peu plus sur toi chaque jour... tu peux parler aussi aux animaux ?

    - Bah... naturellement oui... grâce à l’infime part du sang Yakue qui coule dans mes veines. Je suis en harmonie avec la nature.

    - J’ai bien cru voir. Ils ne m’auraient jamais attaqué, hein, les animaux ?

    - Non, sauf si je l’aurai ordonné. Ce qui m’aurait également très étonné, Maman a le devoir de te protéger et ne te laissera pas mourir, donc... techniquement, non.

    - Eh... d’accord, tenta-t-il d’analyser. »

     

    On passait donc notre après-midi à explorer les différentes parties de ma forêt et notre soirée à se raconter nos vies, particulièrement la sienne. Je lui demandais aussi ce qu’était le mot « bâtarde », au début, il ne voulait pas me le dire, mais avec mon regard insistant, il a cédé. Il m’a donc dit que le mot « bâtard » était une insulte envers une personne qui était née hors-mariage. Le mariage, je n’avais jamais pensé à ça. C’est navré qu’il me dise bonne nuit et s’endormit. Je me couchai lentement dans mon lit et observai la lune. Ainsi j’étais une bâtarde ? Pourtant, j’étais toujours heureuse avec mes parents, je ne manquais de rien et j’avais toujours de l’affection d’eux... Au matin, je n’osais pas en parler à mon père. En fait, je me confiais rarement à mon père : je préférais avoir ma mère pour me confier. Entre femmes c’était plus simple... selon moi.

     

     

    * * *

     

    Enfin terminé de rédiger ce chapitre !

    Il m’a pris du temps à être écrit, je crois que ça fait près de deux mois qu’il était en pleine rédaction, mais en pause. Bon, j’avoue en même temps, j’avais mes études et je n’avais pas d’inspiration car un passage me bloquait et je ne savais quoi ajouter...

     

    Sinon, j’espère que la touche fantastique a paru un peu. Je n’ose pas trop dévoiler de choses d’un coup sec sur Alika, mais ça va s’en venir, il ne faut pas perdre espoir. Sur ce, passons au prochain chapitre =D

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