• Chapitre 6 : Tranches de vie – Quand on idole nos parents

    Chapitre 6 : Tranches de vie – Quand on idole nos parents

    Ça faisait un moment qu’on marchait, Niisan, Maman et moi. On déboucha à l’entrée d’un village et elle nous expliqua le chemin à faire pour retrouver Papa. Chagum prit ma main et nous dirigea.

     

    « C’est ici ? demandai-je.

    - Oui. On y va. Excusez-moi, dit-il alors qu’on se tenait dans l’entrée de la pièce.

    - Chagum, tu es venu tout seul avec Alika ? s’enquit Papa.

    - Oui. Balsa était avec nous jusqu’à ce qu’on atteigne l’entrée du village. Elle est retournée en ville en disant qu’elle allait chercher Tohya. Qu’est-il arrivé à Saya ? Elle est malade ?

    - Non, mais lorsque je l’ai examinée tout à l’heure, on aurait dit qu’elle n’avait plus d’âme.

    - Serait-ce la... "perte d’âme" dont tout le monde parle ? demanda un vieillard Yakue.

    - Oui. Ce n’est pas tellement rare que quelque chose force l’âme à quitter le corps. »

     

    Niisan s’approcha et s’agenouilla. Je l’imitai.

     

    « Il vous est déjà d’arrivé de vous réveiller pendant une sieste après avoir eu l’impression de tomber ? questionna Papa. (on fit signe que oui)

    - Mais moi, c’est avant de dormir vraiment, dis-je. C’est ça ?

    - Oui. C’est le moment où votre âme quitte votre corps. Mais habituellement, l’âme revint très vite et vous vous réveillez.

    - Alors, il n’y a pas à s’inquiéter pour Saya, n’est-ce pas ? fit Chagum. »

     

    Papa prit une pause avant d’observer les deux hommes agenouillés aux côtés de Niisan. Il leur demanda ce qui avait tant perturbé l’esprit de Tatie. Après quelques explications, on comprit qu’elle avait accepté un mariage arrangé. Ils se mirent ensuite à réfléchir.

     

    « Les mariages arrangés sont une bonne chose, non ? remarqua Niisan.

    - Oui... généralement. Mais quelque chose d’horrible pourrait s’être passé et l’âme de Saya pourrait ne pas vouloir revenir.

    - Quelque chose d’horrible ?

    - (Papa regarda les deux hommes) Quand vous avez vu Saya, comment allait-elle ? Quelque chose vous a-t-il été inhabituelle ?

    - Elle donnait l’impression de ne pas être très heureuse, avoua le premier jeune homme, proche de Chagum.

    - Saya ! résonna la voix alarmée et paniquée et Tonton qui arriva en courant. »

     

    Il courut vers elle et tomba agenouillé. Maman bougea le rideau de paille et entra à son tour dans la pièce.

     

    « Comment ?! Comment Saya a-t-elle pu se retrouver dans cet état ?! s’énerva-t-il contre la Madame qui était plus au fond de la pièce. C’est pour ça que je ne voulais pas.

    - Hein ? J’ai entendu dire que tu avais immédiatement accepté, dit le fils du marchand de riz. »

     

    Tous fixèrent la dame, je les suivis dans leur démarche en imitant le regard sévère de Maman.

     

    « Puisque c’était une bonne affaire, vous avez pris l’initiative d’en parler à tout le monde, pas vrai ? sortit Maman.

    - Comment avez-vous pu mentir ?! s’indigna Tohya. Je suis désolé, Saya. De ne pas avoir immédiatement refusé...

    - Puisque nous savons maintenant pourquoi, son âme ne va-t-elle pas revenir si nous lui disons que tout est annulé ? proposa Niisan.

    - Ce devrait être le cas, dit Papa. Mais il semble qu’elle est incapable de nous entendre. Nous allons devoir pratiquer un appel d’âme.

    - Un appel d’âme ? interrogea le vieil homme Yakue.

    - Je vais envoyer mon âme dans l’autre monde pour ramener celle de Saya, puisqu’elle s’y trouve, probablement.

    - Vous pouvez faire une telle chose ?

    - Hé bien, mon maître m’a appris à le faire. En tout cas, je vais préparer l’incantation. Veuillez tout vous rendre dans la pièce voisine. »

     

    Tout le monde se leva et obéit. Maman rassura Tohya d’un regard. Je regardai mes parents. Le crépuscule tombait. Maman ferma la fenêtre alors que Papa avait installé un rideau au-dessus de la couche de Saya et allumé des bougies.

     

    « Voilà, annonça-t-il, je vais commencer. Veuillez vous assurez que personne n’entre ici. Vous devriez également aller dans la pièce voisine, tous les trois. »

     

    Niisan obtempéra, je ne bougeai pas.

     

    « Toi aussi Alika, va rejoindre Chagum.

    - Vous êtes sûrs ?

    - Ça ira. »

     

    Je soupirai et alla dans l’autre pièce, mais proche de l’entrée pour écouter Papa et Maman parler.

     

    « Moi aussi ? s’enquit-elle.

    - ...

    - Le Chamane Torogai ne t’avait-il pas dit de ne pas pratiquer l’appel d’âme ?... Si tu plongeais dans un puits avoisinant, je sais que je serais capable de t’en tirer. Mais tu ne peux pas attacher une corde à une âme.

    - Je connais les risques ! Mais puisque mon maître n’est pas là, c’est moi qui dois le faire !

    - Je suppose que oui, mais...

    - Ça ira. Je vais ramener l’âme de Saya, c’est certain. Si par hasard je ne la ramenais pas, je reviendrais pour te hanter quand tu dormiras, plaisanta-t-il, blague que Maman ne rit pas.

    - Je vais rester ici et te surveiller. Fais de ton mieux.

    - Très bien. Âme, prend la fuite. Élève-toi tels les oiseaux dans le ciel. »

     

    Le temps commençait à devenir long. Les adultes parlaient entre eux, mais je n’avais pas envie de me mêler à eux. Alors je me plaçai dans le coin le plus éloigné et me roulai en petite boule sur le plancher pour faire une sieste. J’adore faire des siestes, depuis toute petite. Maman n’avait pas besoin de me forcer à faire une sieste en matinée ou en après-midi, puisque je m’endormais en faisant mes choses. Je fis un étrange rêve : je me trouvais un monde étrange, colorés. Tout était énorme. Une sorte de tortue géante se déplaçait, elle portait une île énorme sur son dos. Des baleines nageaient dans l’océan alors que d’un autre côté, les nuages se faisaient aspirer entre deux rochers alors que d’autres étaient en colonnes avec des éclairs.

     

    « Alika ? résonna une voix au loin.

    - Maman ?

    - Alika, c’est le temps de te réveiller.

    - Hein ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

    - Tu as encore fait la sieste ?

    - Oui... deux minutes...

    - Tu ne dormiras pas de la nuit si tu continues de faire la sieste. Il est temps d’y aller.

    - Je veux que tu me prennes dans tes bras, je tiendrai ta lance... s’il te plait !

    - ... D’accord. »

     

    Elle me donna sa lance avant de me prendre dans ses bras. Elle cédait toujours ! En même temps, ça faisait longtemps qu’elle ne m’avait pas eu en sa compagnie. Rendus à l’entrée du village, Saya et Tohya salua les habitants de la maison ainsi que nous avant de partir.

     

    « Tu vois, je ne pensais pas du tout... sortit Papa, que Saya avait des sentiments pour Tohya. Tu le savais ?

    - Non. Ce n’est pas surprenant, maintenant que j’y pense. »

     

    Chagum regarda mes deux parents avant de me regarder. On se sourit et Papa nous demanda pourquoi. Pour toutes réponses, nous les observâmes sans rien dire, à tour de rôle. Étrangement, ils tournèrent timidement les yeux dans la direction opposée.

     

    « Je crois que l’on a une lune double, ce soir, remarqua Papa. Cette lune était le soleil de Nayug, vous savez. Ils disent que Sagu et Nayug s’attirent l’un l’autre pendant la pleine lune. C’est probablement vrai. »

     

    * * *

     

    Je regardais Niisan couper du bois à la hache.

     

    « Laisse ton regard posé au centre de la bûche, conseilla Maman.

    - Aouch... gémit-il en bougeant ses mains endolories.

    - Tu y arriveras par la pratique, tout simplement.

    - Allez, résonna des voix au loin.

    - Attends ! fit la voix des autres enfants. T’es lent !

    - Tout le monde semble être d’excellente humeur, constata Niisan.

    - Ouais, dit Maman. Le jour du Festival du Solstice d’Été est presque arrivé.

    - Un festival ?

    - Dans le coin, ils disent qu’on peut savoir le nombre de jours avant le festival à la façon dont les gens se relâchent et sont détendus. »

     

    Je ramassai les morceaux de bois en leur compagnie.

     

    « Les gens que l’on a vus un peu plus tôt transportaient des flambeaux vraiment grands, commenta-t-il. À quoi vont-ils servir ?

    - Ils sont probablement utilisés durant le festival lorsque les gens vont de maison en maison en allument des feux de joie.

    - Oh, je vois. Ce sont les feux que j’avais l’habitude de voir depuis le Palais. À la cour, nous avions le Festival de la Fondation pendant l’équinoxe du printemps. C’est un festival où nous commémorions la victoire sur le démon aquatique de notre père fondateur sacré, l’Empereur Torgal, et de ses Huit Guerriers, marquant ainsi la fondation de l’Empire du Nouveau Yogo.

    - J’ai entendu parler de ça.

    - Je me demandais pourquoi les paysans n’allumaient pas de feu de joie à l’époque, mais j’ai compris qu’ils ne commençaient sûrement à le faire qu’au solstice d’été, car ils étaient trop occupés à planter du riz au printemps.

    - Je vois. Ça doit être pour ça.

    - À chaque solstice d’été, j’allais à la tour des astronomes avec l’Empereur et mon frère pour profiter de la vue sur la ville. Les feux de joie allumés à chaque maison donnaient l’impression que la Rivière du Paradis coulait à travers tout le pays.

    - Voudrais-tu retrouver ta vie d’avant ? questionna Maman, un petit sourire discret.

    - Quoi ? Non... Je ne veux pas, rétorqua-t-il. »

     

    Il continua de ramasser le bois.

     

    « Niisan, tu as dit qu’à ton palais, ils fêtaient la défaite du démon aquatique ?

    - Oui.

    - Techniquement, ils fêtent l’œuf du démon aquatique que tu habites en toi, compris-je.  

    - Alika, ce n’est pas un démon aquatique, me reprit Maman. C’est le Nyuga Ro Chaga.

    - Mais alors, ça ne tient pas debout. Il y a surement une erreur.

    - Je demande de qui tu retiens pour faire toutes ses assimilations de mythes, rit-elle.

    - De Papa !

    - Hé ! Chagum ! Alika ! Nous allons nous entrainer au Rucha ! dit le garçon, celui qui était venu au moulin quelques jours plus tôt pour moudre du riz.

    - Rucha ? Est-ce que vous parlez de cet art martial, le Rucha ? répondit Niisan.

    - Est-ce que tu vois un autre Rucha, ici ? Nous allons nous entrainer pour le festival ! Viens avec nous !

    - Il y a un tournois de Rucha le jour du festival, l’aida Maman.

    - Hum ?

    - Allez-y tous les deux. Mais veille bien sur Alika.

    - Ok ! Viens Alika ! »

     

    Il prit ma main et nous courûmes vers nos amis. Nous traversâmes un escalier en pierre et nous entrâmes dans la place du festival.

     

    « Pourquoi vous inclinez-vous en gardant les yeux fermés ? questionna Niisan.

    - Pourquoi ? (il ouvrit les yeux et se fâcha) Ce sont les statues des Huit Guerriers légendaires qui ont combattu au côté de l’Empereur Torgal afin de vaincre le démon aquatique ! Si tu les fixes, tu deviendras aveugle ! (il tenta de lui cacher les yeux)

    - Ça n’a aucun sens ! riposta-t-il. La croyance qui dit que les roturiers deviendront aveugles ne s’applique qu’à la famille royale, descendants du père fondateur sacré, l’Empereur Torgal.

    - Oh !... est-ce que c’est... vrai ?

    - Hein ? Je ne sais pas, répondirent les autres amis.

    - De plus, personne n’est jamais devenu aveugle juste en regardant un membre de la famille royale.

    - Hein ? Comment peux-tu dire ça ?

    - Ils te font marcher, tout simplement.

    - Serais-tu en train de me dire que tu as déjà vu un membre de la famille royale auparavant ?

    - Eh bien, c’est... »

     

    Je ris intérieurement. Ils ne savaient même pas qu’ils s’adressaient directement au Second Prince, Son Altesse. Son Altesse... beurk, ça faisait trop bizarre. Pourtant, Maman et moi, Papa et Mémé Torogai n’étions pas devenus aveugles après l’avoir observé.

     

    « Vous faites quoi les gars-là ? demanda un jeune adolescent, musclé et imposant.

    - Mais qui c’est lui ? demanda le garçon roturier.

    - Moi, Maître Yarsum, vais m’entrainer pour le tournoi de Rucha. Battez-vous contre moi.

    - Est-ce que tu viens de Rota ? demanda l’autre garçon roturier avec nous.

    - N’est-ce pas évident ?

    - Rota ? dit Niisan.

    - Il est ici pour le Festival du Solstice d’Été, l’aida la plus petite fillette, deux ans de moins que moi. À chaque fois qu’il y a un festival, les marchands ambulants de tous pays viennent ici.

    - Oh ! c’est le fils d’un marchand ambulant, comprit Chagum.

    - C’est quoi le problème ? Commençons, invita Yarsum.

    - Pourquoi devrions-nous écouter un vagabond comme toi ? défia le grand frère de la fillette. Si tu es tellement impatient de te battre, tu devrais plutôt t’incliner et nous supplier.

    - Hein ? Pourquoi devrais-je m’incliner devant des gens de Yogo tels que vous ?

    - T’as dit quoi là ?

    - Choppe-le, Grand frère. Ne laisse pas gagner un étranger comme lui !

    - Ouais, elle a raison ! renchérit le plus jeune garçon de notre groupe au chandail blanc et rouge.

    - Choppe-le !

    - Ça a l’air marrant, commenta Yarsum. Viens me voir avec ton Rucha. J’utiliserai le Porak, l’art martial national de Rota. Si je gagne, vous deviendriez tous mes serviteurs.

    - Comme si j’allais perdre. »

     

    Le garçon au chandail blanc et rouge se mit proche du ring et avec une branche, donna le signal.

     

    « Le premier qui pose au sol une partie du corps situé au-dessus du genou a perdu. Ça te va ? demanda le roturier. »

     

    Yarsum se plaça et le petit garçon cria "commencez !" Celui qui venait de Rota avait totalement le dessus sur notre ami.

     

    « Grand frère !

    - Tu ne fais plus le malin, hein ? »

     

    Il le prit par la ceinture et le fit tournoyer trois fois avant de le jeter en bas du ring.

     

    « Voilà !

    - Oniisan !

    - (Yarsum rit) En parlant de pathétique...

    - Pourquoi t’as fait ça ? C’est méchant !

    - Tu n’avais pas à aller aussi loin, rajouta Chagum.

    - Ne faites pas les femmelettes. J’imagine que ça signifie que vous êtes tous mes serviteurs maintenant. (Grande déception au sein du groupe, mais moi j’avais le caractère têtue de ma mère, alors non, je n’aurai jamais accepté d’être une serveuse) J’imagine aussi qu’il n’y a aucun intérêt à faire d’un tas de perdant comme vous mes serviteurs. Puisque vous autres, morveux de Yogo, êtes une bande de trouillards, je parie que l’Empereur de Yogo est un trouillard aussi ! (il donna un coup de pied sur une des statues, Niisan se froissa.)

    - L’Empereur n’a rien à voir avec nous !

    - Hein ?

    - Retire ce que tu as dit à propos de l’Empereur et de sa trouille !

    - Ouais ! Nous ne pouvons pas te laisser être médisant sur l’Empereur !

    - Hein ? Ne me sortez pas ça, bande de perdants.

    - Bats-toi contre moi, défia Niisan à la surprise de nos amis en s’avançant. Si je gagne, tu retireras ce que tu as dit pour l’Empereur.

    - Ne sois pas idiot. Pourquoi devrais-je écouter un serviteur ?

    - Je ne suis pas un serviteur !

    - Ne le fait pas Chagum ! cria la fillette. Même mon frère a perdu ! Tu ne peux pas gagner !

    - C’est sûr, je pourrais me battre contre toi, mais ce n’est pas marrant de se battre contre un gringalet. Très bien, on va faire comme ça, je t’épargnerai une journée durant. Nous nous battrons au vrai tournoi pendant le Festival du Solstice d’Été. Si par hasard il arrivait que je perde, je ferais ce que tu as demandé. En revanche, si tu perds, tu mangeras des limaces devant tout le monde.

    - Très bien !

    - HEIN ?!

    - Je me chargerai d’en trouver des biens grosses pour toi ! Fais en sortes d’avoir faim ! »

     

    Je me rapprochai de lui et prit sa main en le regardant d’un regard confiant. Après avoir soupé, alors que Niisan faisait la vaisselle, que Maman s’occupait de sa lance et que j’étais occupée à faire mes choses, il lui parla du tournoi.

     

    « Hé, Balsa ?

    - Hum ?

    - Tu es déjà allée à Rota ?

    - Ouais. Pourquoi ?

    - J’ai rencontré un garçon qui venait de Rota aujourd’hui. Il était grand et agressif.

    - Ils sont comme ça à Rota, pour la plupart. Malgré leur taille, ils sont plutôt bagarreurs.

    - Quoi ?

    - Rota est la patrie de nombreuses ethnies différentes et il y a un grand fossé entre les riches et les pauvres. C’est pour cela qu’il y a là-bas beaucoup de personne ayant une personnalité acerbe. En comparaison, les gens de Yogo sont faciles à vivre, ce qui rend les gens de Rota encore plus irritables.

    - Je vois. En fait... j’ai fini par organiser un duel de Rucha avec le garçon de Rota. Mais il connait cet art martial appelé Porak et il est vraiment bon.

    - Oh !

    - Y a-t-il un moyen de le battre ?

    - Le Porak est un style qui dérive du combat au corps à corps sur le champ de bataille. À l’opposé, le Rucha est une occupation de fermiers qui chahutent, donc ce n’est pas vraiment équitable. (elle souleva sa lance pour l’observer après l’avoir polie et nettoyé) Mais si tout ce que tu as à faire est de le sortir du ring, alors tu as une chance de le vaincre.

    - Vraiment ?

    - Néanmoins, tu auras besoin de beaucoup de courage et d’un peu de talent. Alors ? C’est quand ce match ?

    - Pendant le Festival du Solstice d’Été. »

     

    Maman arrêta son geste, déposa sa lance et se retourna lentement, un air navré sur le visage.

     

    « C’est pas de chance. Ce sera pour une autre fois. Nous ne pouvons pas aller au festival, vois-tu.

    - Pourquoi pas ?

    - Beaucoup de gens se rassemblent aux festivals. Il y aura des marchés de nuit et des colporteurs. Ça signifie que de nombreuses personnes de l’ombre qui ne peuvent normalement pas travailler au grand jour vont être attirés de tous les pays, pas vrai ? Nous ne sommes pas censés être ici. Ce n’est pas un problème de vivre normalement comme nous le faisons en ce moment, mais nous ne savons pas qui pourrait nous voir à un festival. Donc, nous devons rester à la maison et faire profil bas pendant le festival. »

     

    Au petit matin, je me réveillai en même temps que Maman. Je me lavais le visage et failli plonger la tête dans le bac pour cause de fatigue.

     

    « Doucement Alika.

    - Être fatiguée, ça fait partie intégrante de moi, ris-je. Désolée...

    - Cré Ali’...

    - Maman ?

    - Oui ?

    - Pourquoi on ne peut pas aller au festival ? Je connais les raisons principales, mais pourquoi pareil ?

    - Comment dire... étant garde du corps, je me suis fait quelques comptes sur le dos et des ennemis. Ces gens-là pensent que je suis seulement une femme solitaire, sans famille, qui ne travaille que dans un but personnel et intime. Ils veulent parfois leur revanche avec moi en voulant ma mort. (mon teint devint blême, elle me prit dans ses bras et me fit un câlin) Du calme ma chérie, je ne me laisse pas avoir si facilement.

    - Ouf...

    - Ce qu’ils ne savent pas, c’est que je suis une maman. J’ai une famille et une enfant née de ma propre chair et de mon propre sang avec moi en ce moment, sous ma protection. Donc, s’ils devaient me repérer, ils pourraient très bien s’en prendre à toi. Tu comprends mieux ?

    - Oui.

    - Tu n’en parles pas un mot à Chagum.

    - Pourquoi ?

    - Parce que.

    - D’accord...

    - Allez, on va aller préparer le petit déjeuner. »

     

    Niisan se réveilla et vint nous retrouver dehors.

     

    « Ohayo.

    - Ohayo. Après que tu te sois lavé le visage, avant le petit-déjeuner, nous finirons d’empiler le bois que nous avons fendu. Nous ne pouvons pas aller au festival, mais nous pouvons au moins allumer un feu de joie.

    - Okay... Balsa. Tu as bien dit que si tout ce que j’avais à faire était de le sortir du ring, c’était faisable, pas vrai ? Que voulais-tu dire par là ?

    - Tu es encore là-dessus ? sourit-elle.

    - Ouais...

    - Eh bien, je peux t’apprendre si tu me promets de ne pas aller au festival. (elle vit l’air triste de Niisan et soupira) Sais-tu ce qui fait tourner la roue à aubes ?

    - Quoi ?

    - Il y a seulement un filet d'eau, n’est-ce pas ? Pourquoi crois-tu qu'il fait tourner la roue si rapidement, en dépit du fait qu'elle soit très lourde ?

    - ...

    - C'est parce qu'une fois que tu commences à déplacer quelque chose, même si c'est lourd, il ne faut ensuite qu'un peu de force pour que le mouvement se poursuive. Et une fois que ça a commencé à bouger, plus c'est lourd plus l'élan est important. Il est donc facile de conserver le mouvement. L'important c'est de l'initier. »

     

    Il observa un long moment le moulin, décryptant les dire de Maman. Le soir, les chants des paysans qui s’occupaient d’allumer les feux de joies se firent entendre.

     

    « Il aura fallu pratiquement tout le bois que nous avions fendu, dit Chagum en regardant notre feu de joie.

    - Oui, c’est exacte, l’appuya Maman alors que je m’accotais sur ses hanches. Les voilà. »

     

    Ils allumèrent le feu et on les remercia. Maman eut même de jolies compliments sur ma ressemblance avec elle et que j’étais une jolie fille. Elle regarda Niisan.

     

    « Puisque nous ne pouvons pas aller au festival, nous allons manger quelque chose de particulièrement bon. »

     

    Je me penchais au-dessus du bac comprenant trois anguilles... vivantes. Pourtant, Maman ne semblait pas effrayé ni troublée. Elle le prit et entra à l’intérieur en demandant à Niisan de couper plus de bois pour le feu. Je décidai de suivre maman.

     

    « Maman ?

    - Hum ?

    - ... Comment tu fais pour tuer une anguille ? Ça électrocute, ça !

    - (elle rit) Il y a un truc. Regarde bien. »

     

    Elle prit une pince, prit une anguille et d’un coup sec, frappa sa queue. L’anguille tomba mollement et ne bougea plus.

     

    « C’était pas la tête ?

    - Non, pas pour ce poisson. On y va avec la queue car c’est là où tout le système nerveux est placé.

    - Tu vas pas t’électrocuter ?

    - Ne t’en fait pas, j’attends quelques minutes. Tu es curieuse de savoir comment on le cuit ?

    - Oui !

    - Une fois que l’anguille est bien décédée, décédée pour notre vie, alors on se doit de la cuire de la meilleure façon possible. On coupe la peau de la tête tout le tour, qu’on retire comme un gant. (elle prit un des trois poissons, un couteau et me montra) Tu vois ? Ensuite, on coupe en deux son corps sur la longueur, de façon à l’ouvrir comme un livre. On retire les viscères et les organes avant de le couper en deux et d’y mettre des bâtons de bois. Tu veux mettre les bâtons ?

    - Oui !

    - Tiens.

    - Merci. »

     

    Je sortis indirectement la langue pour me concentrer sur les bâtonnets en bois. Maman alluma le feu et prépara la sauce.

     

    « Peux-tu dire à Chagum que c’est presque l’heure du souper ?

    - D’accord. »

     

    Je sortis dehors, mais vis que Niisan était nulle part. La hache trainait sur la bûche en bois.

     

    « Maman... Niisan n’est pas là...

    - Ah ? »

     

    Elle ouvrit la porte et remarqua à son tour qu’il n’y était plus. Elle soupira et s’accota sur le cadre de porte.

     

    « Je savais qu’il irait.

    - Tu le savais ?

    - La plupart des enfants désobéissent, toi y compris.

    - Hey !

    - ... Je me demande ce que Jiguro aurait fait dans une telle situation.

    - On ne soupe pas alors ? m’enquis-je.

    - Tu veux un morceau de fromage ?

    - Oui !

    - On va aller au festival retrouver Niisan.

    - Oh ! Mais tu ne voulais pas qu’on se fasse repérer...

    - Avec un peu de chance, on passera pour une famille normale... du moins je l’espère. Je ne veux pas que tu restes seule ici, alors tu vas m’accompagner.

    - D’accord. »

     

    Elle détacha l’élastique qui tenait ses manches et éteignit le feu. Elle m’offrit un morceau de fromage et prit la route pour aller à la place des festivités. On vit Niisan sur le ring avec un garçon plus grand et plus musclé. Le match commença et d’un mouvement très simple et lent, Chagum le fit descendre en bas du ring.

     

    « Chagum est le vainqueur ! annonça le garçon au chandail rouge et blanc.

    - Ouais !

    - Chagum a gagné, appuya la fillette.

    - C’était quoi ça ? C’est de la triche !

    - Tu es sorti du ring. Tu as perdu.

    - C’est pas pareil là ! Je n’ai pas perdu !

    - Retire ce que tu as dit à propos de l’Empereur.

    - Pas question. Tu es un tricheur ! Donc, l’Empereur aussi est un tricheur ! »

     

    Niisan s’énerva et descendit avant de le prendre par le collet.

     

    « Ce n’est pas ce que tu avais promis !

    - Espèce d’enfoiré !

    - Chagum ! fit le grand frère en essayant de les séparer. »

     

    Alors qu’ils s’apprêtaient à se battre, le père de Yarsum intervint.

     

    « Yarsum. Arrête. Au Rucha, tu perds si tu sors du ring. Concéder le match est la chose la plus respectable à faire pour un homme de Rota. J’ai gagné le tournoi cette année. Soi-en fier. Aucun adulte dans ce village n’est plus fort que moi. (Je regardai Maman d’un œil taquin, aucun adulte de ce village hein ?) Et tu es le plus fort des enfants. Rien ne peut changer ça.

    - Tu parles.

    - Allez, on y va.

    - C’est faux... murmura Niisan. »

     

    Maman croisa les bras et s’accota sur la statue.

     

    « Attend un instant, intervint-elle en avançant. Concéder le match n’est pas suffisant. Il faut que ton fils tienne sa promesse.

    - Sa promesse ? À propos de quoi ? se renseigna le père.

    - Je... je ne sais pas, mentit-il.

    - Il dit qu’il ne sait pas. Ne porte pas d’accusation sans fondement.

    - Donc un père se permet de juger une chamaillerie entre gamins ? rit-elle jaune. Est-ce ce que font les hommes respectables de Rota ?

    - Maman... gémis-je.

    - Alors réglons ça de parent à parent, défia-t-elle. Le gagnant aura raison, et les affirmations de son enfant seront prises au pied de la lettre.

    - C’est ridicule. Allons-y, insista le fils qui se mangea mon regard noir avant d’être repoussé par ton père.

    - Il n’y a pas de père dans notre famille, alors je serai ton adversaire.

    - Quoi ? Les femmes ne sont pas autorisées à pratiquer le Rucha, mais je viens de Rota. Peu m’importe, mais...

    - Et je viens de Kanbal. C’est décidé. Si je gagne, tu tiendras parole. (elle s’avança vers Niisan, je la suivit jusque-là.) J’aurai beaucoup de chose à te dire après ça. Attend ici. »

     

    Tous les gens de rassemblèrent proche du ring, surpris.

     

    « Je n’esquiverai pas, alors donne tout ce que tu as. »

     

    Ce qu’il ne savait pas, était que Maman pratiquait les arts martiaux depuis l’âge de six ans. Je connaissais ses capacités, je n’avais pas peur qu’elle perde. À moitié morte, elle aurait continué à se tenir sur ses jambes jusqu’à l’épuisement total. Il tenta de l’attaquer, mais elle bloqua chacun de ses attaques avec un calme absolue. Puis, elle s’essaya. En essayant de lui prendre le bras droit, il lui prit la manche et la fit reculer.

     

    « Allez ! fais-en un nœud de cette salope ! encouragea le garçon de Rota.

    - Ta gueule toi ! lâchai-je. T’es qu’un salaud ! défendis-je maman.

    - Qu’est-ce que tu as dit là, gamine ?!

    - Ma mère va battre ton père, soi-en sûr !

    - Tu dis n’importe quoi et tu partiras tête basse quand ta mère perdra !

    - C’est toi qui va battre en retrait, la queue entre les jambes !

    - Pétasse !

    - Connard ! »

     

    Comme je l’avais prédit, Maman rentra son épaule dans son abdomen et le souleva de terre pour le passer au-dessus d’elle et de l’étendre convenablement sur le sol du ring. Tout le monde resta bouche-bée. Elle descendit du ring comme si de rien n’était.

     

    « Papa ! Tu t’es retenu parce que c’est une femme, pas vrai ? J’ai raison, n’est-ce pas ? (son père lui offrit une jolie claque sur la tête)

    - Cette femme a quelque chose de spécial. Je ne me suis pas retenue, et ce n’était pas une coïncidence. Même si nous faisions dix matches de plus, elle gagnerait à chaque fois. Je ne sais pas ce que tu as promis, mais dépêche-toi et va t’excuser !

    - Mais... »

     

    Maman revint et Chagum baissa les yeux. Le jeune adolescent de Rota arriva et s’excusa. Sur le chemin du retour, personne ne parla. Même si j’étais au même niveau que Maman durant qu’on marchait, Chagum trainait derrière. Maman se retourna enfin, Niisan baissa la tête et elle s’arrêta en soupirant.

     

    « Si quelqu’un nous avait vus, nous aurions dû abandonner la vie que nous menons en ce moment. Tu comprends, n’est-ce pas ?

    - Je suis désolé, s’excusa Chagum.

    - Eh bien, c’est moi qui ai empiré les choses.

    - Mais c’est moi qui n’ai pas tenu ma promesse en premier.

    - (Elle regarda la lune) Je suis sûre que tes parents auraient été fiers que tu te sois senti obligé de les défendre. »

     

    Chagum la regarda et vint nous rejoindre. Il est drôle de voir qu’elle n’avait pas le courage de gronder Niisan.

     

    * * *

     

    C’était mon sixième chapitre !

    Et oui, on est déjà à la moitié de Ransa no Moribito. Et j’avance de plus en plus vite =D

    J’espère que vous aimez toujours, j’ai rarement des commentaires à dire sauf si savoir si ça vous plait toujours.

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